Code PLU 4248 = texte 1

Système fermé, système ouvert : pour une économie écologique par Jérôme Dupras

Jérôme Dupras est professeur associé, Laboratoire d’économie écologique et Université du Québec en Outaouais

Depuis la discussion créative avec Caroline Moreau, artiste visuel
Nom de l’œuvre Code PLU 4248

Tout écologue vous le dira : le vivant et le non vivant interagissent et s’organisent en gènes, espèces, écosystèmes et s’imbriquent ensemble pour constituer la biosphère. Cette biosphère, héritage de 4 milliards d’années d’évolution, est un processus dynamique qui utilise, dispose, recycle et transforme les mêmes ressources depuis l’apparition de la vie sur Terre. Pour paraphraser l’économiste et philosophe Kenneth Boulding, l’être humain et les millions d’autres espèces vivent ensemble dans un petit « vaisseau spatial », un système fermé aux ressources limitées.

 

Cette réalité, intuitive, n’est pourtant pas intégrée au modèle économique dominant. Alors qu’elle devrait servir de support et de limitation de l’offre, dans notre économie financiarisée, la nature n’est qu’une des composantes. Elle est internalisée, calculée, compensée, indexée, sans que ne se pose la question de ses réelles capacités de production et d’assimilation. Cette économie de la consommation se déploie dans une logique linéaire, un système ouvert où l’on migre de l’extraction des ressources, à la transformation en biens, à la consommation, jusqu’à la disposition.

 

Si à petite échelle cette mécompréhension du monde peut être bénigne, lorsqu’appliquée à l’ensemble de l’économie mondiale, globalisée, les effets sont tout autre – pensons à la réalité brûlante des changements climatiques ou à l’érosion accélérée de la biodiversité (i.e. 30% des espèces ont disparu depuis la révolution industrielle).

 

Cette logique de système ouvert s’applique à toutes les sphères de l’économie, dont l’agriculture. Le prix des aliments, tel qu’affiché dans les supermarchés, ne correspond qu’à ses « coûts privés », soit ce qu’il en coûte pour les amener jusqu’à notre assiette : salaires, coûts des graines, engrais et autres intrants agricoles, coûts de transport et de mise en marché par exemple. Nul reflet des « coûts sociaux » qu’engendrent ces activités : pollution, transformation des écosystèmes, émissions de gaz à effet de serre.

 

Code PLU 4248 témoigne des difficultés à s’approvisionner en aliments locaux et biologiques, et de la nécessaire transition d’une économie en système ouvert vers une économie en système fermé. Pendant un an, 20 personnes ont collecté les 3 378 étiquettes provenant des 178 variétés de fruits et légumes qu’ils ou elles ont consommé. Venus à 80% de l’extérieur du Canada, ceux-ci ont parcouru 1,6 million de kilomètres pour se rendre à l’assiette, soit 40 fois le tour de la Terre. Imaginez pour l’ensemble de la population québécoise… Ce sont des millions de tonnes de gaz à effet de serre qui participeront à la dynamique des changements climatiques sans que notre économie ne puisse en saisir et atténuer les impacts. Sans oublier que plus de 90% de ces étiquettes proviennent d’une agriculture non biologique, utilisant pesticides, herbicides et engrais qui participent à l’érosion de la qualité de l’environnement et à la qualité de vie des populations locales.

 

Dans l’ombre de la crise écologique que nous vivons, l’environnement et l’économie sont plus que jamais indissociables. Toute activité humaine se voulant durable et respectueuse des jeunes générations, et de celles à venir, doit impérativement être holistique. Il nous faut revoir l’imbrication des sphères sociale, environnementale et économique : si aujourd’hui les deux premières sont phagocytées par l’économie triomphante, nous devons tendre vers une économie au service d’une redistribution des richesses socialement équitable et respectueuse de la réalité naturelle. Pour y arriver, il faudra que nos sociétés réintègrent une forte dose de biophilie – l’amour du vivant sous toutes ses formes.